Un nuage d'encre sur le Oro y Sangre

Un capitaine élégant entra dans la taverne et dit

Bonjour les bois sans soif

Francisco venait de passer de nombreux mois à naviguer en solitaire. Le loup de mer sanguinaire était devenu un loup de mer solitaire.
Les spectres de ses vieux camarades disparus au combat l'accompagnaient partout, mais ne répondaient pas toujours à ses nombreuses interrogations.

Il y avait d'abord eu Le Bisontin, son vieux compagnon de combat, mystérieusement disparu en haute mer. Francisco enviait l'audace de ce brigand sans scrupules et sans crainte, cette témérité qui leur avait valu de belles victoires, à deux coquilles de noix face à une forteresse ou en plein territoire ennemi, au nez, à la barbe et aux dépens des Frères de la côte et autres "Preneurs de fuite".

Et, bien sûr, les caraïbes avaient surtout changé avec le départ de Torraz en Espagne. Peu de monde connaissait le lien de sang qui les liait. Personne ne mesurait vraiment combien sa grande soeur comptait pour l'irrascible et impitoyable corsaire espagnol.

Aussi, Francisco fuyait la société.
Il ne trouvait un certain apaisement qu'en vivant de tout son être ses chères Caraïbes. Son navire dessinait alors en haute mer toutes ces pensées et envies, souvent obscures mais parfois plus heureuses, auxquelles il jugeait bon de donner une dimension plus concréte.
Toutes voiles au vent, toujours à la barre, dans la tempête ou par mer étale. Le bonheur d'un navire guidé par la vivacité de son esprit... et par la providence !

Francisco avait mis, en conséquence, un temps certain avant de se décider à répondre à l'invitation de ses nouveaux amis... il avait fallu convaincre ses fantômes, encore plus réticents que lui à toute compagnie nouvelle.

Mais quelle nouveauté cette fois-ci !
La confrérie du Poulpe noir avait des allures qui lui plaisaient bien.
Un peu comme les loups sanguinaires aux origines, une vraie bande de forbans convertie à la défense de la veuve et de l'orphelin !
Des corsaires aux profils et aux caractères contrastés qui naviguent, bien entiers, et dont le passage marque à jamais d'une certaine noblesse les endroits variés où les guident le vent.

Et puis il y avait Iñugo, ce vieil ami plus courageux que lui, indéfectible défenseur des causes les plus nobles, surtout si elles sont un peu perdues. Toujours droit dans ses bottes quoiqu'il se passe, malgré les fières et nobles courbes de sa moustache.
Pas le moindre doute... Francisco le préférait en forban qu'en soutane.

Aussi Francisco se présenta-t-il en pleine nuit à la taverne du Poulpe.
Et comme le Bisontin ne voulait pas se résoudre à en ouvrir la porte, Francisco força cette fois son destin en en tournant lui même la poignée.
Il parvint même, à sa propre surprise, à sourire à l'assistance.

Hola Majos !
Tavernier ! sers moi donc une chopine de ta meilleure gnôle.
Cela faisait longtemps que je n'avais pas éprouvé une telle envie de trinquer.
A votre santé, Compadres !

Francisco fut saisi à la vue de la bouille hirsute d'Iñugo.
Leurs nombreuses rencontres dans diverses tavernes des caraïbes étaient toujours l'occasion de joyeuses beuveries.

Et surtout, voir le basque enthousiaste était toujours porteuse d'heureux présages. Or, Iñugo semblait avoir fait le plein d'énergie.
Francisco, qui était fatigué, se dit qu'il serait difficile de faire jeu égal jusqu'au dernier verre. Mais quelle importance finalement.

Héhé Iñugo !
Ca fait plaisir de croiser à nouveau ta route.
Bel endroit que ce repaire. Plus à ton image qu'une cellule de moine.
Chassez le naturel il revient au galop. Il faudrait que tu édites un jour un guide des plus agréables tavernes des caraïbes.

J'ai pour ma part accumulé quelques terres en Espagne, en vue d'une retraite dorée. Mais qu'irais-je faire là bas ? Je suis bien trop jeune pour prendre ma retraite. Et avec à peine une trentaine de cicatrices, je n'ai pas envie de passer pour un enfant de choeur !!! le Rey m'a fait Baron... mais je ne veuc pas que l'on oublie qui je suis ! je crois que je suis condamné à vivre... croiser ta route à ce moment critique en est le signe. Comment fuir son destin quand le rhum coule dans nos veines, quand les tavernes sont remplies de jolies filles et que le soleil brille sur les îles caraïbes ?